LA PREMIÈRE CROISADE

La première croisade est prêchée par le pape Urbain II le 27 novembre 1095, à Clermont. Il incite les chrétiens à se rendre d’Europe occidentale au Moyen-Orient, où les musulmans vivent depuis plus de 450 ans, afin de lutter contre les « infidèles » et les « barbares », « une race maudite totalement étrangère à Dieu ». Il exhorte non seulement des chevaliers mais aussi des mercenaires et des voleurs à « obtenir la récompense éternelle » en se joignant à l’opération « pour éradiquer cette race ignoble des terres ». Beaucoup sont émus par l’appel aux armes du pape, et des européens partent bientôt pour porter la croix vers l’est et se jeter dans la bataille.

Au printemps 1096, une armée de croisés dirigée par le comte Emicho déferle sur la Rhénanie. Elle marche sur la Terre Sainte. Les attaques des croisés contre diverses cités retardent leur arrivée à Jérusalem à juin 1099. Après quelques jours de siège, les croisés réussissent finalement à vaincre les défenses de la ville. Leur quête est accomplie. L’ouvrage Histoire anonyme de la première croisade relate le massacre du point de vue d’un soldat : Dès que l’un des chevaliers eut escaladé les fortifications,

tous les défenseurs de la ville s’enfuirent des murs à travers la cité et les nôtres les suivirent et les pourchassèrent en les tuant et en les sabrant jusqu’au temple de Salomon, où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu’aux chevilles… Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivirent et massacrèrent les Sarrasins jusqu’au temple de Salomon, où ils s’étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang. Enfin, après avoir écrasé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d’hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui ils voulurent… Les croisés coururent bientôt par toute la ville, prenant l’or, l’argent, les chevaux, les mulets et pillant les maisons qui regorgeaient de richesses. Puis tout heureux et pleurant de joie, les nôtres allèrent adorer le sépulcre de notre Sauveur Jésus et s’acquittèrent de leur dette envers lui.[1]

Peu de temps après cette sanglante conquête, les seigneurs des croisés écrivent une lettre au pape pour relater leur voyage. Elle culmine avec une description de la manière dont les musulmans ont souffert de leur main : « Et si vous voulez savoir ce qu’on fit des ennemis qu’on trouva ici, sachez que, sous le portique de Salomon et dans son Temple, les nôtres chevauchaient dans le sang des Sarrasins jusqu’aux genoux des chevaux… » [2]

Voilà les traces que nous laisse l’histoire, et les neuf cents années intermédiaires n’ont rien fait pour estomper les images vives de la première croisade dans la mémoire collective des musulmans modernes. À les entendre, on pourrait croire que ces événements se sont produits seulement hier.

LES MUSULMANS EUROPÉENS, LES CROISADES ET LE DJIHAD

Je suis convaincu que les récentes attaques terroristes en Europe ont heurté les musulmans patriotes en Europe plus durement que le citoyen lambda. Ils ont tremblé avec le reste de la nation à la mort de leurs concitoyens, mais ils ont simultanément été confrontés à une sévère crise d’identité. Les terroristes avaient tué leurs compatriotes au nom de leur Dieu. Ils ont été contraints de défendre d’une certaine manière leur foi et leur pays, dans un contexte où les gens allaient diaboliser non seulement l’Islam, mais aussi les musulmans eux-mêmes.

Heureusement, des hommes de pouvoir se sont levés pour défendre les musulmans. L’ancien président Bill Clinton n’est pas le moindre d’entre eux. Dans un discours à Washington, moins de deux mois après l’attentat du 11 septembre 2001, Clinton déclare : « Lorsque les soldats chrétiens ont pris Jérusalem au cours de la première croisade, ils ont procédé à la mise à mort de toutes les femmes et tous les enfants de religion musulmane trouvés sur le mont du Temple. Les descriptions contemporaines de l’événement évoquent des soldats qui marchent sur la butte du temple, un lieu saint pour les chrétiens, avec du sang jusqu’aux genoux. Je peux vous dire qu’au Moyen-Orient, cette histoire est racontée encore aujourd’hui, et que nous continuons à en payer le prix. »

Le président Clinton a martelé à son auditoire que les chrétiens avaient été coupables de violence gratuite au nom de leur Dieu. Ce parallèle a trouvé chez les musulmans un écho plus important que Clinton n’a dû le réaliser. Il s’accorde en effet avec le récit dont les musulmans héritent de la communauté islamique : après l’avènement de Muhammad, l’islam se répand pacifiquement mais rencontre l’opposition brutale des croisés à l’Est et de l’Inquisition Espagnole. Les chrétiens étaient les agresseurs, et les musulmans les victimes. Le djihad tel qu’il nous a été enseigné était une entreprise soit spirituelle, soit défensive.

Parallèlement à la déclaration de Clinton, d’autres venaient à partager ce point de vue. Ridley Scott publie en 2005 un film intitulé Kingdom of Heaven (Le Royaume des Cieux). Il dépeint les chrétiens comme les agresseurs de musulmans civils qui désiraient simplement une coexistence pacifique. Le djihad a ainsi reçu, semble-t-il, sa justification de l’Occident lui-même : à cause des atrocités des croisades, personne ne pourrait pointer du doigt l’islam.

De nombreuses années après avoir quitté l’Islam, je discutais avec des collègues, exprimant ma consternation à propos des chrétiens qui se prévalent du nom de Christ mais ne vivent pas selon ses principes. Alors que j’évoquais les croisades pour illustrer cette hypocrisie, un bon ami m’a mis au défi avec une question très directe : « As-tu déjà enquêté sur l’histoire des croisades ? » À ma honte, je devais admettre que je ne l’avais jamais fait. J’avais simplement supposé que tout le monde serait d’accord pour considérer les croisades comme une abomination et un fléau inexcusable dans l’histoire chrétienne. Mon collègue m’a suggéré de jeter un regard nouveau sur les croisades afin que je puisse en avoir une compréhension plus exhaustive, sans pour autant cautionner les atrocités commises.

Quand j’ai commencé à enquêter, il m’est tout de suite apparu clairement qu’aucune des parties impliquée dans ces guerres n’était irréprochable. En 1268, le sultan Baybars I, un musulman célèbre surnommé le Lion d’Egypte, provoque le comte Bohémond VI dont il venait de conquérir la ville, Antioche, en son absence. Baybars décrit clairement ce que le dirigeant chrétien aurait vu s’il avait été présent à Antioche :

« La mort […] vint parmi les assiégés de tous les côtés et par tous les chemins : nous tuâmes tous ceux que vous avez nommés pour garder la ville ou défendre ses entrées. Si vous aviez vu vos chevaliers piétinés sous les sabots des chevaux, vos provinces livrées au pillage, vos richesses distribuées en totalité, les femmes de vos sujets mises sur le marché pour être vendus ; si vous aviez vu les autels et les croix renversés, les feuilles de l’Évangile déchirées et jetées aux vents, et les sépulcres de vos ancêtres profanés ; si vous aviez vu vos ennemis, les musulmans, piétinant le tabernacle et immolant moines, prêtres et diacres dans le sanctuaire ; enfin, si vous aviez vu vos palais livrés aux flammes, les morts dévorés par le feu de ce monde, l’église de Saint-Paul et celle de Saint-Pierre entièrement détruites, vous auriez certainement crié : Par le ciel, je souhaite devenir poussière ! » [3]

Selon les archives, Baybars a incendié Antioche et vidé la ville de ses habitants. Quatorze mille chrétiens ont été tués et cent mille réduits en esclavage. Voilà bien une atrocité comparable au massacre de la première croisade à Jérusalem ! Je ne m’attendais pas à cela, car j’avais toujours entendu que seuls les croisés commettaient des atrocités, pas les musulmans. Le seul moyen de légitimer ce que l’on m’avait appris serait de considérer que ce massacre constituait le châtiment tardif pour les crimes commis par les croisés en 1099. J’ai donc commencé à étudier le contexte des batailles, y compris la première croisade. C’est alors que j’ai découvert que le récit dont j’avais hérité était lamentablement déformé.

Quelques années seulement avant l’appel du pape Urbain II à la première croisade, les Turcs seldjoukides avaient conquis Nicée. C’est dans cette même ville que Constantin avait convoqué le premier Concile œcuménique de l’Église, 750 ans auparavant. Les Turcs seldjoukides étaient des musulmans sunnites, et ils avaient pris Nicée à l’empereur byzantin, un chrétien. En réponse, ce dernier demande au pape Urbain II de l’aider à défendre ses terres, lors du concile de Plaisance en 1095. En d’autres termes, les musulmans attaquaient activement les chrétiens et conquéraient leur territoire. La première croisade était une opération défensive.

Mais ce que j’ai appris ensuite était encore plus choquant : l’armée des Seldjoukides comportait des guerriers appelés mamluks, des enfants esclaves formés à devenir de jeunes combattants professionnels. Ces guerriers esclaves ont d’abord été utilisés par des califes musulmans au 9e siècle, et au cours du millénaire suivant, cette pratique s’est largement répandue dans les terres islamiques. Selon un chercheur, seize des dix-sept dynasties musulmanes les plus prééminentes de l’histoire ont eu recours à des guerriers esclaves de manière systématique. Ces garçons esclaves provenaient souvent d’endroits comme l’Égypte, où de nombreux territoires chrétiens avaient été conquis par les musulmans. En somme, les dirigeants musulmans capturaient des garçons chrétiens pour les transformer en guerriers esclaves et les dresser contre d’autres chrétiens.

Les archives indiquent que les musulmans conquerraient les territoires des chrétiens d’Égypte et enlevaient leurs enfants dès les premiers jours de l’islam. Amr ibn al-As, l’un des compagnons de Muhammad, balaie brutalement le nord de l’Égypte en l’an 640, huit ans seulement après la mort de Muhammad. Jean de Nikiou, un évêque du delta du Nil, relate une telle conquête :

Lorsque, après de longs efforts, les musulmans eurent fait tomber les murs de la ville, ils s’en emparèrent sur-le-champ, tuèrent des milliers d’habitants et de soldats, firent un énorme butin, emmenèrent en esclavage les femmes et les enfants, qu’ils se partagèrent, et laissèrent la ville complètement vide. [4]

En parcourant les chroniques de Jean de Nikiou, j’ai constaté qu’il s’agissait là de l’une des conquêtes les plus miséricordieuses d’Amr. Dans son récit de la prise de Nikious, alors que les soldats, fuyant l’armée musulmane qui approchait, avaient laissé la ville sans protection, Jean relate la réaction d’Amr face aux chrétiens sans défense : « Amr et l’armée musulmane […] vinrent ensuite à Nikious et s’emparèrent de la ville, n’y trouvant pas un soldat pour leur résister. Ils massacraient tous ceux qu’ils rencontraient, dans la rue et dans les églises, hommes, femmes et enfants, sans épargner personne. Puis ils allèrent dans d’autres localités, les saccagèrent et tuèrent tous ceux qu’ils trouvaient. […] Mais taisons-nous maintenant ; car il est impossible de raconter les horreurs commises par les musulmans, lorsqu’ils occupèrent l’île de Nikious […]. » Ibid

Ce n’est que l’un des nombreux massacres perpétrés par Amr ibn al-As, l’ami de Muhammad, relatés par l’évêque. L’histoire retrace des attaques musulmanes similaires contre les terres chrétiennes. Elles s’étendent du milieu des années 600 à l’an 1095 et bien au-delà. Au moment où l’empereur byzantin demande l’aide du pape, les musulmans s’étaient emparés des deux tiers du monde chrétien.

C’est pourquoi Thomas Madden, spécialiste des croisades, écrit : « Les croisades étaient en tous points une guerre défensive. Elles furent la réponse tardive de l’Occident à la conquête musulmane des deux tiers du monde chrétien. »[5] Cette réalité apparaît clairement lorsque nous lisons le contexte complet du plaidoyer du pape Urbain II. Il appelle les chrétiens européens à la première croisade en ces termes :

« Vos frères qui vivent à l’est nécessitent urgemment votre secours, et vous devez vous hâter de leur apporter l’aide qui leur a souvent été promise. Car, comme la plupart d’entre vous l’ont entendu, les Turcs et les Arabes les ont attaqués […] et les ont vaincus en sept batailles. Ils en ont tué et capturé beaucoup, ils ont détruit les églises et dévasté l’empire. Si vous permettez qu’ils continuent à sévir ainsi en toute impunité pendant un certain temps, leurs attaques contre les fidèles de Dieu se répandront plus largement encore. C’est pourquoi, moi, ou plutôt le Seigneur, je vous supplie, comme des hérauts du Christ, de publier partout ces faits et de persuader toute personne, de quelque rang qu’elle soit, soldat ou chevalier, pauvre ou riche, de porter promptement secours à ces chrétiens et de détruire cette race ignoble des terres de nos amis. »[6]

 LE RÉCIT DES CROISADES SELON UNE PERSPECTIVE NOUVELLE

Pour comprendre les croisades d’un point de vue historique, une approche plus prudente est de mise. Lorsque nous adoptons une perspective plus nuancée pour les analyser, de nombreux aspects apparaissent dans une lumière nouvelle. Compte tenu des réalités historiques, la perspective musulmane commune des croisades est une invention moderne. Le récit d’une croisade offensive contre des musulmans pacifiques, ainsi que les sous-entendus de Ridley Scott dans Le Royaume des Cieux, se révèlent être des partis-pris fantaisistes. Ils reposent sur des motivations autres qu’historiques. En réalité, les croisades ont été lancées pour défendre l’Empire byzantin après la conquête des deux tiers du monde chrétien et plusieurs siècles d’attaques musulmanes. Les musulmans l’avaient compris : ils n’en ont pas gardé rancune aux croisés et ont plus ou moins oublié les croisades jusqu’aux temps modernes, lorsque les récits postcoloniaux sont entrés en vogue.

LEÇONS APPRISES DU DJIHAD ET DES CROISADES

Compte tenu des faits, les croisés ont-ils commis des atrocités inexcusables ? Absolument. Les moudjahidines ont-ils commis des atrocités inexcusables ? Absolument. Je n’ai en aucun cas l’intention d’excuser ceux qui ont commis ces crimes. Je pense néanmoins qu’aucune religion ne devrait être jugée sur la base des actions de certains de ses adeptes. C’est pourquoi une personne qui cherche à connaître la vérité sur le christianisme et l’islam ne devrait pas permettre aux moudjahidines (ceux qui promulguent le djihad) d’influencer sa vision de l’islam, ni aux croisés d’influencer sa vision du christianisme. Il n’y a que deux personnes dont le comportement importe : Muhammad et Jésus.

MUHAMMAD ET LE DJIHAD

L’enthousiasme avec lequel Muhammad adhère à la guerre est frappant. Voilà ce qu’il dit :

  • Se battre est littéralement la meilleure chose au monde : D’après ‘Anas ben Mâlik, le Prophète dit : « Partir, de matin ou de soir, pour la cause de Dieu vaut mieux que le bas monde et ce qu’il contient. »[7]
  • Rien ne vaut une plus grande récompense à un musulman que de participer au djihad. Cela vaut mieux que de prier sans cesse et de jeûner: D’après Dhakwân, Abu Hurayra dit : « Un homme vint voir le Messager de Dieu et lui dit : “Montre-moi une œuvre égalant le combat [pour la cause de Dieu]. – Je n’en trouve pas, répondit le Prophète… [Mais pourrais-tu, après le départ d’un combattant [pour la cause de Dieu], rester debout à faire la prière dans ton oratoire sans te fatiguer et à observer le jeûne sans l’interrompre ? – Mais qui pourrait faire cela !”… “[En effet], lorsque le cheval du combattant [pour la cause de Dieu] galope çà et là le long de la [distance que lui laisse] la corde qui le retient, eh bien ! cela sera compté comme une bonne œuvre.” »[8]
  • Mourir en guerre est un acte si merveilleux que c’est l’unique chose qui pourrait donner à un homme l’envie de quitter le ciel: D’après ‘Anas ben Mâlik, le Prophète a dit : « Il n’y a aucun individu qui aime revenir au bas monde et avoir tout ce qu’il contient après être entré au Paradis, sauf le [moudjahidine] ; il aime retourner au bas monde et [y] être abattu par dix reprises, et ce à cause de l’honneur qu’il [reçoit d’Allah]. » [9]

Qu’en est-il de la conduite de Muhammad envers des ennemis ? Il invoquait de temps à autres des malédictions sur eux[10] et encouragerait ses hommes à composer de la poésie injurieuse à leur égard. [11]

Un jour, il a demandé à Allah d’incendier les habitations des gens simplement parce qu’ils avaient retardé les musulmans dans leurs prières quotidiennes.[12] D’autres fois, Muhammad a envoyé des assassins pour tuer ses ennemis dans leur sommeil,[13] et même pour les tromper et abuser de leur confiance dans le but de les assassiner.[14] Il a puni certains de ses ennemis en leur coupant les mains et les pieds, en leur crevant les yeux avec un fer chauffé à blanc, et en les obligeant à lécher la poussière jusqu’à ce que mort s’ensuive.[15] Il a mené des batailles contre des villes sans défenses.[16] Il a même permis que des femmes et des enfants soient tués lors de raids nocturnes.[17] À plus d’une occasion, Muhammad a décimé des tribus entières, tué tous les hommes et jeunes garçons et réparti leurs femmes et leurs enfants comme esclaves.[18]

Plus tard dans sa vie, Muhammad n’a pas semblé se formaliser le moins du monde que les conversions étaient obtenues sous la contrainte évidente. Celle de son ennemi juré, Abou Sufyan, et de sa femme Hind en est exemple. Selon des historiens musulmans, Abu Sufyan était venu chercher la paix avec Muhammad. Au lieu de cela, il a été forcé d’embrasser l’Islam. Voici les paroles exactes qui lui ont été adressées en la présence de Muhammad : « Soumets-toi et atteste qu’il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah et que Muhammad est l’apôtre d’Allah, sinon, tu perdras ta tête. »[19] Il a obéi.

Toute la ville de La Mecque a suivi le mouvement, alors que les habitants et les dirigeants détestaient à l’origine Muhammad et n’adhéraient pas à ce qu’il prêchait. La plupart d’entre eux se sont « convertis » à l’islam le jour où Muhammad et son armée ont brutalement déferlé sur la ville. Seul le croyant le plus crédule pourrait croire à une soudaine illumination religieuse qui se serait produite, incroyable coïncidence !, au moment précis où ils avaient l’épée au cou.

Après le dernier hadj, les Mecquois qui refusaient de changer de religion étaient expulsés de force de la ville (le Coran, sourate 9:5). Les chrétiens et les juifs qui vivaient en Arabie à l’époque ont subi le même sort. Embrasser l’islam ou être chassés hors de leur terre : tel était le choix qui leur était donné[20]. Nul ne peut nier, après avoir lu ces textes, que Muhammad combattait les gens et cherchait à les expulser d’Arabie sur la base de leurs croyances. Ils ne pourraient « sauver leur vie et leurs biens de la main de » Muhammad qu’en devenant musulmans.

Les juifs de Khaybar n’étaient pas en guerre contre Muhammad lorsqu’il a ordonné à ses moudjahidines de les attaquer.

Relaté par ‘Abdul’ Aziz :
Anas a dit, « Quand l’Apôtre d’Allah a envahi Khaibar, nous avons offert la prière Fajr là-bas tôt le matin quand il faisait toujours sombre. Le Prophète est monté à dos de chameau et Abu Talha aussi et je suivais derrière Abu Talha…. Quand il est entré dans la ville, il a dit, ‘Allahu Akbar! Khaibar est détruite. A chaque fois que nous nous approchons près d’une nation pour nous battre alors le diable sera là dès le matin pour les avertir. ‘ Il l’a répété trois fois. Les gens sont partis à leur travail et certains d’entre eux ont dit, ‘ Muhammad (est venu). ‘ (Certains de nos compagnons ont ajouté, « Avec son armée. ») Nous avons vaincu Khaibar, pris les captifs et le butin a été rassemblé.[21]

Les gens de Khaybar n’attaquaient pas Muhammad. Ils cultivaient leur terre avec des pelles et des seaux, sans même savoir qu’ils étaient censés être en guerre. Même le fidèle beau-fils de Muhammad, Ali, qu’il avait choisi pour diriger la mission, s’est montré quelque peu perplexe quant au prétexte selon lequel ils allaient assaillir cette paisible communauté agricole si éloignée de Médine :

Mahomet dit: « Ruez-vous vers la bataille jusqu’à ce qu’Allah vous accorde la victoire », et Ali commença à partir puis s’arrêta et sans regarder il dit d’une voix forte: « Messager d’Allah, pour quelle raison dois-je combattre ces gens-là? » là-dessus il (le prophète) répondit: « Combat les jusqu’à ce qu’ils attestent du fait qu’il n’y a aucun dieu excepté Allah et que Mahomet est son messager. »[22]

Les hommes de Muhammad ont facilement assiégé Khaybar, volé aux habitants leurs richesses et réparti le butin. Le prophète de l’islam a réduit les femmes et les enfants à l’esclavage et les a distribués à ses hommes. Il a torturé le trésorier de la communauté pour obtenir de lui les informations qu’il souhaitait, puis l’a fait tuer.[23] Muhammad a alors pris la veuve de l’homme, Safiya, comme épouse, après l’avoir échangée à l’un de ces lieutenants contre deux autres femmes capturées.[24]

Voilà qui est tout à fait contraire à l’image d’un Muhammad qui, à contrecœur, n’aurait livré que des batailles défensives ! Il ne semble pas que Muhammad ait combattu seulement ceux qui l’attaquaient. Muhammad a dit : « Il m’a été ordonné de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils témoignent que nul n’est en droit d’être adoré qu’Allah et que Muhammad est l’Envoyé d’Allah, qu’ils accomplissent la prière, qu’ils s’acquittent l’aumône légale. S’ils font cela, ils auront préservé vis-à-vis de moi et leur sang et leurs biens » [25] Dans un autre hadith, il exprime encore plus clairement sa pensée : « J’expulserai tous les juifs et les chrétiens de la plénisule arabe, et ne n’y laisserai que des musulmans ». [26]

Il est intéressant de mentionner un dernier point ici. La pratique de Muhammad qui consistait à ordonner aux gens de professer leur croyance en lui s’est révélée désastreuse à la fois pour sa propre famille et pour l’héritage de sa religion. Au moment de sa mort, son empire comprenait un grand nombre de peuples et de tribus qui avaient accepté sa domination simplement pour éviter la guerre et l’esclavage. Beaucoup d’entre eux ont voulu s’en affranchir après sa mort, et plusieurs guerres ont immédiatement éclaté, entraînant des milliers de morts et forgeant à l’islam un héritage d’intolérance violente.

Même Abu Sufyan, l’ennemi juré de Muhammad, a peut-être eu le fin mot de l’histoire. Dévoré par l’ambition, le prophète de l’Islam avait accepté l’apparente profession d’allégeance de son ancien adversaire (sous la menace de l’épée) dans le but d’étendre son empire. Pourtant, ce sont les propres enfants d’Abu Sufyan qui en ont finalement profité, aux dépens de la famille de Muhammad.

Le fils d’Abu Sufyan, Muawiyah hérite de l’empire après avoir battu le fils adoptif de Muhammad, Ali. Il empoisonne aussi Hasan, l’un des deux petits-fils préférés du prophète. Le petit-fils d’Abou Sufyan, Yazid, devient le calife suivant et obtient rapidement, sur un plateau, la tête de l’autre petit-fils préféré de Muhammad, Hussein.

Tels sont les risques encourus par un homme qui contraint d’autres à le proclamer prophète sans qu’ils le croient dans leur cœur.

 ESCLAVAGE SEXUEL

En août 2015, les images de dizaines d’adolescentes nigérianes vêtues de burqas, enlevées de leur école par Boko Haram, circulent dans le monde entier. La même année, l’État islamique (EI) capture des milliers de femmes yazidies. L’EI soutient que ces femmes sont des butins de guerre et que l’esclavage sexuel est une pratique approuvée par le Coran.

Bien sûr, beaucoup de musulmans n’approuvent pas les pratiques de l’EI, mais leurs raisons nous éclairent. Dans une lettre ouverte à l’EI, écrite par 140 érudits musulmans, nous pouvons lire ce qui suit : « Après un siècle d’accord entre musulmans sur l’interdiction de l’esclavage, vous l’avez violé. Vous avez pris des femmes pour en faire vos concubines […]. »[27] Ils soutiennent que Muhammad était favorable à la libération des esclaves. C’est peut-être vrai, mais pour autant, ils ne vont pas jusqu’à dire que Muhammad ne permettait pas l’esclavage sexuel. Ce n’est pas ce que disent les annales, et l’EI le sait. Malheureusement pour ces 140 érudits musulmans et pour le reste du monde, l’EI ne s’intéresse pas au consensus des savants musulmans d’il y a cent ans, mais à l’exemple de Muhammad au VIIe siècle.

L’islam permet-il l’esclavage sexuel ? Pour répondre à des questions comme celle-ci, il nous faut agir comme les musulmans ont toujours agi : interroger le hadith. Lorsque nous examinons l’exemple de la vie de Muhammad, plusieurs récits nous montrent que Muhammad ne se contentait pas d’autoriser l’esclavage sexuel. Il encourageait également les musulmans hésitants à utiliser sexuellement les femmes qu’ils venaient de capturer.

Les citations suivantes établissent le contexte du verset coranique 4:24 :

Abu Sa‘id al-Khudri a dit: L’Apôtre d’Allah a envoyé une expédition militaire à Awtas à l’occasion de la bataille de Hunain. Ils ont rencontré l’ennemi et ont combattu avec eux. Ils les ont battus et leur ont pris des captifs. Certains des Compagnons de l’Apôtre d’Allah étaient peu disposés d’avoir des relations sexuelles avec les femelles captives en présence de leurs maris qui étaient incroyants. Puis Allah, le Plus Haut, a envoyé le verset Coranique: (4 :24) « Et toutes femmes mariées (sont interdites) excepté celles (les captives) que votre main droite possède. » [28]

Peut-être craignaient-ils que les femmes ne tombent enceintes, ou se montraient-ils hésitants parce que leurs maris étaient encore en vie. Quoi qu’il en soit, le hadith nous rapporte que ce n’était pas seulement Muhammad qui les encourageait, mais « Allah le Très-Haut » lui-même. Le hadith explique que le verset coranique 4:24 a été révélé spécifiquement afin que les hommes n’hésitent plus à avoir des rapports sexuels avec des femmes captives dont les maris étaient encore vivants.

Considérons le sort des Banu Mustaliq, une tribu arabe :

… le prophète avait brusquement attaqué les Banu Mustaliq sans avertissement alors qu’ils étaient sans crainte et que leur bétail s’abreuvait aux points d’eau. Les hommes combattants ont été tués et les femmes et enfants pris comme captifs…[29]

Dans le cas présent, les hommes de Muhammad ont violé les femmes (avec son approbation) après avoir exterminé les hommes.

« Abu Sirma a dit à Abu Sa’id al Khadri (Allah soit satisfait de lui): O Abu Sa’id, tu as entendu le Messager d’Allah (paix soit sur lui) mentionner au sujet d’Al-azl ? Il a dit, « oui », et a ajouté : « Nous sommes sortis avec le Messager d’Allah (paix soit sur lui) sur l’expédition au Mustaliq et avons rendus captives quelques excellentes femmes arabes ; et nous les avons désirés car nous souffrions de l’absence de nos épouses, (mais en même temps) nous avons également désiré une rançon pour elles. Ainsi nous avons décidé d’avoir des rapports sexuels avec elles mais en observant l’azl « (retirer l’organe sexuel masculin avant émission de sperme pour éviter la conception). Mais nous avons dit : « Nous faisons un acte tandis que le Messager d’Allah (paix soit sur lui) est parmi nous ; pourquoi ne pas lui demander ? » Ainsi nous avons demandé au Messager d’Allah (paix soit sur lui) et il a dit : « Il n’importe pas si tu ne le fais pas, pour chaque âme qui doit être soutenue jusqu’au jour de la Résurrection sera soutenue. »[30]

En quoi le viol d’une femme captive est-il un acte d’auto-défense ?

Dans les faits, les femmes esclaves ont été traitées comme une simple marchandise par Muhammad et son groupe de disciples dévoués :

Ibn Ishaq dit à ce sujet : Puis l’Envoyé de Dieu fit le partage des biens des Banû Qurayzah , de leurs femmes et de leurs enfants entre les musulmans. […] Puis, l’Envoyé d’Allâh envoya Sa’d b. Zayd al-‘Ansârî, frère des Banû ‘Abd al-‘Ashhal, à Najd avec des femmes captives, de Banû Qurayzah, pour les vendre et acheter en échange des chevaux et des armes.[31]

Ce hadith décrit un raid typique. Les femmes et les enfants sont capturés alors qu’ils tentent de fuir les assaillants musulmans :

Abou Bakr nous a ordonnés de faire une courte halte pendant la nuit, puis l’attaque a été lancée en traversant les eaux. Il y eut des tués et des prisonniers. J’ai regardé un groupe de gens parmi lequel se trouvait des femmes et des enfants. J’avais peur qu’ils n’atteignent la montagne avant moi, alors j’ai tiré une flèche entre eux et la montagne. Quand ils ont vu la flèche, ils se sont arrêtés. Je les ai ramenés et parmi eux il y avait une femme de Bani Fazâra qui portait un manteau de cuir.[32]

Le narrateur musulman voit les femmes tenter de s’échapper (après le massacre des hommes) et coupe leur route en tirant une flèche sur leur passage. Ces femmes ne cherchaient pas à se réfugier auprès des musulmans. Elles essayaient d’éviter d’être capturées par les musulmans.

Le même hadith raconte ensuite que Muhammad a exigé l’une des femmes capturées pour son usage personnel :

Je les ai ramenés et parmi eux il y avait une femme de Bani Fazâra qui portait un manteau de cuir. Elle était accompagnée de l’une des plus belles filles des Arabes. Je les ai emmenés jusqu’à Abou Bakr qui m’a donné en butin sa fille. Nous sommes arrivés à Médine et je ne l’avais pas dénudé. J’ai rencontré le Messager de Dieu au marché, il a dit : « Ô Salama ! Donne-moi cette fille ! »[33]

 Après avoir conquis la Mecque, le prophète de l’islam a également ordonné l’exécution de deux « filles chanteuses » qui s’étaient moquées de lui en vers :

… deux chanteuses Fartana et son amie qui souvent chantaient des satires contre l’envoyé ; alors il ordonna qu’on les tue tous.[34]

Ces récits de la vie de Muhammad ont influencé les musulmans tout au long de l’âge classique de l’islam et modelé leurs règles de guerre. C’est à ces récits que l’EI se réfère aujourd’hui.

L’EI ne capture pas seulement les femmes mais aussi les garçons. Des récits horribles ont récemment secoué le monde : des garçons capturés étaient forcés d’enlever leurs vêtements et d’affronter l’exécution s’ils présentaient des poils pubiens. Mais une fois encore, cette pratique s’inspire de la manière dont Muhammad a traité les juifs qurayza. Muhammad avait ordonné que les enfants ne soient pas tués en guerre, à l’exception des raids nocturnes. Lorsqu’un groupe de personnes était capturé, comme les juifs qurayza, les garçons étaient donc séparés des hommes et les hommes exécutés. Les poils pubiens étaient le critère de séparation. (Sunan Abu Dawud 39.4390) L’EI s’est contenté de s’approprier ce récit de la vie de Muhammad et de l’appliquer à ses propres circonstances.

Dans la mesure où Muhammad autorisait cette pratique, nous comprenons mieux pourquoi les Turcs seldjoukides n’avaient aucun scrupule à capturer les garçons et à faire d’eux des guerriers esclaves. Ce fut d’ailleurs également le cas de pratiquement toutes les autres dynasties musulmanes. Muhammad lui-même a réduit à l’esclavage des garçons juifs. Si l’on considère que leurs pères ont tous été décapités ce jour-là, on pourrait presque parler d’un acte de clémence.

La pratique classique du djihad et ses manifestations considérées comme « islamistes » ou « radicales » aujourd’hui sont donc souvent une simple tentative d’imiter Muhammad. Ceux qui plaident en faveur d’une pratique de l’islam plus pacifique n’ont d’autre choix que de suivre l’un des trois schémas suivants : 1. Nier complètement l’exemplarité de la vie de Muhammad. 2. Proclamer que les enseignements de Muhammad ne sont plus d’actualité, à l’image des 140 érudits musulmans. 3. Désavouer certaines parties de la vie de Muhammad telles que l’histoire nous les rapporte, comme le fait le musulman ordinaire.

JÉSUS ET LES CROISADES

Suivre Jésus nous amène à considérer le combat de manière radicalement différente. Jésus n’a jamais dirigé d’armée. Il n’a même jamais approuvé la violence. Examinons la maxime de Jésus la plus explicite à propos des combats. Son message est on ne peut plus clair : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée mourront par l’épée. » (Matthieu 26:52) Même en matière de légitime défense, son enseignement est tellement pacifique qu’il semble provenir d’un autre monde : « Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta chemise, laisse-lui encore ton manteau. Si quelqu’un te force à faire un kilomètre, fais-en deux avec lui. » (Matthieu 5:39-41) Cela va de pair avec la manière surréelle avec laquelle Jésus demande à ses disciples de traiter leurs ennemis : « Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous détestent et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent. » (Matthieu 5:44)

Les enseignements de Jésus étaient si pacifique qu’ils ont posé problème aux premiers chrétiens. Ils se sentaient obligés de défendre les opprimés en recourant à la violence. Comme Jésus n’a pas explicitement cautionné la guerre, ils ont développé le concept élaboré de « guerre juste ». Combattre pouvait être dans la volonté de Dieu.

Au moment de lancer les croisades, les « chrétiens » ont d’abord considéré leurs guerres comme un mal nécessaire pour combattre un mal plus grand. Au cours des croisades, cependant, ils ont commencé à voir la guerre sainte d’un œil positif, comme un moyen de gagner le pardon.

Cette idée gagne ensuite en popularité, comme l’écrit un historien contemporain : « […] Dieu a suscité de notre temps des guerres saintes, afin d’offrir de nouveaux moyens de salut aux chevaliers et aux peuples […]. » (Guibert de Nogent, Histoire des Croisades, Livre I, dans Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France par M. Guizot, Paris, 1825 ; italiques ajoutés) Il a donc fallu attendre les croisades, plus d’un millénaire après Jésus, pour que certains « chrétiens » considèrent la guerre sainte comme une entreprise positive qui, au lieu d’être un péché exigeant la pénitence, permettrait aux croisés de gagner le pardon de leurs péchés.

LE CHRISTIANISME EST-IL PACIFIQUE ?

Matthieu 10:34

J’ai récemment suivi un débat public entre deux chrétiens et deux musulmans autour de la question : « L’islam est-il une religion de paix ? » Les deux débatteurs musulmans soutenaient entre autres que l’islam est pacifique à la lumière de certains enseignements chrétiens. Selon eux, le christianisme permet la violence dans certains cas, et il en est de même dans l’islam. Pour étayer cet argument, ils se focalisaient sur des paroles de Jésus telles que : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. » (Matthieu 10:34) Si le christianisme est pacifique alors que la violence est permise, l’islam ne pourrait-il pas lui aussi être pacifique ?

Voilà ce que je répondrais à cet argument (c’est aussi ce qu’ont dit les débatteurs chrétiens) : « Que dit réellement Jésus dans ce verset ? Lisons le contexte. » En examinant le passage dans son entier, il devient incontestablement clair que Jésus parle non pas de guerre, mais de division au sein des familles : « Je ne suis pas venu pour apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère […]. » (Matthieu 10:34-36) Il n’est pas question de guerre ici.

J’ai souvent rencontré ce type de malentendu en m’entretenant avec des musulmans : ils contestent le caractère pacifique des enseignements de Jésus en citant ses paroles hors de leur contexte. Au moment de réaliser l’exégèse d’un passage de la Bible, le contexte est essentiel pour en déterminer le sens. Quand Jésus dit qu’il est venu apporter l’épée, il nous dit exactement ce qu’il entend par cette déclaration : son avènement divisera les familles.

En grec, il existe un mot pour « couteau » et un autre pour « épée ». Une étude plus approfondie des paroles de Jésus révèle que « l’épée » à laquelle Jésus se réfère n’est pas une épée de guerrier. Il s’agit plutôt d’une sorte de « long couteau », un outil multifonctionnel conçu pour découper la viande ou nettoyer le poisson, entre autres. Son but premier est de diviser. Ici, Jésus dit que sa venue est comme un « couteau » qui divise les familles.

Luc 22:35-38

Cette clarification nous aide à comprendre un autre passage souvent mal interprété. Dans Luc 22:35-38, Jésus commande à ses disciples de prendre une épée avec eux pendant leur voyage. « Il leur dit encore :

Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac, et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? Ils répondirent : De rien. Il leur dit : Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne, que celui qui a un sac le prenne également, et que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée. Car, je vous le dis, il faut que cette parole qui est écrite s’accomplisse en moi : Il a été mis au nombre des malfaiteurs. Et ce qui me concerne est sur le point d’arriver. »  (Luc 22 :35-37)

Jésus a simplement voulu leur dire : « Vous vous dirigez vers une situation nouvelle. Désormais, “mon heure est arrivée” et la situation va changer radicalement. S’ils m’arrêtent, ils vous arrêteront aussi un jour. S’ils me traitent comme un vulgaire criminel, ils vous traiteront de la même manière. Alors soyez prêts ! »

Les disciples ont néanmoins pris Jésus au mot et commis l’erreur de lui présenter deux épées. « Ils dirent : Seigneur, voici deux épées. Et il leur dit : Cela suffit. » (Luc 22:38) Les paroles des disciples ont dû affliger Jésus, car elles montrent qu’ils n’avaient pas compris le sens de ses mots. « Cela suffit » signifie : « Ne me parlez plus de cette affaire (de cette sorte de combat). » (cf. Deutéronome 3:26)

Un peu plus tard, Jésus les réprimandera pour avoir voulu le défendre en ayant recours à la violence. Jésus était sur le point d’être arrêté dans le jardin. « Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver,  dirent : Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? Et l’un d’eux frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui emporta l’oreille droite. Mais Jésus, prenant la parole, dit : Laissez, arrêtez ! Et, ayant touché l’oreille de cet homme, il le guérit. » (Luc 22:49-51 ; voir aussi Matthieu 26:51-54)

Pensaient-ils qu’il avait besoin de leur protection ? Ou qu’il allait maintenant renverser Rome et établir le royaume ? « Cela suffit ! » Son royaume ne progresse pas au moyen d’épées humaines. Jésus dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde […]. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne sois pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n’est point d’ici-bas. » (Jean 18:36) Son royaume s’étend plutôt par le pouvoir de la vérité divine, la Parole de Dieu qui est plus tranchante que n’importe quelle épée humaine.

Les chrétiens sont appelés à « [prendre] aussi le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu » (Éphésiens 6:17). « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais […] contre les esprits méchants dans les lieux célestes. » (Ephésiens 6:12) « Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles ; mais elles sont puissantes, par la vertu de Dieu, pour renverser des forteresses. » (2 Corinthiens 10:4) « Car la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu’une épée quelconque à deux tranchants, pénétrante jusqu’à partager âme et esprit, jointures et moelles ; elle juge les sentiments et les pensées du cœur. » (Hébreux 4:12)

Une fois de plus, le contexte nous est très utile. Il n’est absolument pas question ici d’entrer physiquement en guerre.

Luc 19:27

Voici un autre verset qui peut prêter à confusion si le contexte n’est pas pris en compte. Jésus dit : « Au reste, amenez ici mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, et tuez-les en ma présence. » Cette déclaration devient claire lorsque nous lisons tout le passage. Jésus raconte une parabole et évoque un roi hypothétique dans son enseignement. Il n’exige pas littéralement que ses ennemis soient amenés devant lui et tués. Tout au long de l’Évangile de Luc, Jésus relate de nombreuses paraboles. Parmi elles, nous trouvons l’histoire d’un juge malfaisant qui ignore une femme (Luc 18), d’un fermier qui sème des graines (Luc 8), d’un propriétaire de vigne qui ordonne qu’un arbre soit abattu (Luc 13), et d’une femme qui cherche une pièce perdue (Luc 15). Ces paraboles ne signifient pas que Jésus lui-même est un mauvais juge qui ignore les femmes, qu’il est un fermier qui sème des graines, qu’il est un propriétaire de vigne qui ordonne que des arbres soient abattus, etc. De même, sa parabole dans Luc 19:27 ne signifie pas qu’il est un roi qui veut tuer des gens. Jésus utilise en réalité des histoires pour illustrer son enseignement de manière marquante. Cette parabole préfigure l’issue de ceux qui auront rejeté Dieu, au dernier jour du jugement.

Nous terminerons par un dernier principe qu’il convient d’appliquer au regard de tels versets. Il s’agit d’un axiome fondamental en herméneutique : les versets peu clairs doivent toujours être interprétés à la lumière de ceux qui sont clairs. Jésus a dit : « Aimez vos ennemis » et « Remets ton épée à sa place ». Ces paroles et enseignements ne laissent place à aucun doute. Dans les Évangiles, nous ne voyons jamais Jésus porter une épée. Telle est la cohérence des enseignements pacifiques de Jésus.

CONCLUSION : MUHAMMAD VS JESUS ​​À PROPOS DE LA VIOLENCE

En résumé, les paroles claires que Jésus a prononcées à l’encontre de la violence ont incité les chrétiens à pratiquer la non-résistance pendant plus de trois cents ans. Ce n’est que mille ans après Jésus que certains « chrétiens » ont reçu l’enseignement selon lequel la guerre sainte pouvait purger le péché. À l’inverse, Muhammad a lui-même enseigné que la pratique du djihad était sainte et bonne. Selon le hadith, Muhammad a enseigné aux musulmans qu’envahir la ville chrétienne de Constantinople purgerait les moudjahidines de leurs péchés : « La première armée de ma Nation qui partira en expédition sur la ville d’Héraclius, [ses combattants] verront [leurs péchés] pardonnés. » (Sahih Bukhari 4.56.137) Aux yeux de Muhammad, le djihad est si bon qu’il n’est rien de meilleur au monde. (Sahih Bukhari 4.52.50) Lorsqu’un homme lui demande s’il existe une œuvre égalant le djihad, Muhammad répond : « Je n’en trouve pas. » (Sahih Bukhari 4.52.44)

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le djihad et les croisades, mais une chose est indiscutable : le Jésus historique n’a jamais approuvé la violence et n’a en rien cautionné les croisades, alors que le Muhammad historique a pratiqué le djihad, la plus grande œuvre qu’un musulman puisse accomplir selon lui. Adhérer strictement à la vie et aux enseignements du Muhammad historique conduit à un djihad violent ; adhérer strictement à ceux du Jésus historique aboutit au pacifisme et à l’amour sacrificiel pour ses ennemis.





 

[1] D’après Histoire anonyme de la première croisade, texte établi par L. Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1924, chap. 37-39, pp. 195-207

[2] (G. Lobrichon, 1090, Jérusalem conquise, Le Seuil, Paris, 1998)

[3] Joseph Michaud, Histoire des Croisades, vol. 3, pp. 17-18. Veuillez noter que j’ai modernisé le langage.

[4] Chronique de Jean, évêque de Nikiou : texte éthiopien, publié et traduit par H. Zotenberg, 1883, Paris, Imprimerie nationale, chapitre CXVIII

[5] Thomas F. Madden, Crusades Propaganda : The Abuse of Christianity’s holy Wars (« Propagande des croisades : les abus des guerres saintes du christianisme »)

[6] Extrait de Katharine J. Lualdi, Source of the making of the West, (« Sources de la naissance de l’Occident ») Volume I: To 1740: People and Cultures, 196

[7] (Sahih Bukhari 4.52.50)

[8] (Sahih Bukhari 4.52.44)

[9] (Sahih Bukhari 4.52.72)

[10] Sahih Bukhari 5.59.297

[11] Sahih Bukhari 5.59.449

[12] Sahih Bukhari 4.52.182

[13] Sahih Bukhari 5.59.370

[14] Sahih Bukhari 5.59.369

[15] Sahih Bukhari 7.71.589

[16] Sahih Bukhari 1.11.584

[17] Sahih Bukhari 4.52.256

[18] Sahih Bukhari 5.59.362 (avec les Banu Qurayza) ; Sahih Bukhari 5.59.512 (avec les habitants de Khaybar)

[19] Ibn Ishaq/Hisham 814

[20] Sahih Muslim 19:4366

[21] Bukhari Volume 1, Livre 8, numéro 367

[22] Sahih Muslim 31:5917

[23] Ibn Ishaq/Hisham 764

[24] Bukhari Volume 1, Livre 8, numéro 367

[25] Sahih Bukhari 1.2.25

[26] Sahih Muslim 1767

[27] Lettre ouverte à Al-Baghdadi, 14 septembre 2014, (www.lettertobaghdadi.com)

[28] Sunan Abu Dawud 11. 2150, cf. aussi Muslim 3433, 3371 et Sahih Bukhari 3.46.718

[29] Sahih, Bukhari 46/ 717

[30] Sahih Muslim, livre 008, Numero 3371

[31] Ibn Ishaq, page 466

[32] https://sunnah.com/muslim/32/54

[33] idem

[34] Ibn Ishaq/Hisham 819, Abu Dawud 2684 & 2683, Sunan an-Nasa’i 4067