Réduit à la simplicité dans l’habillement, le langage et la prière, un pèlerin pendant le Haj est là pour se sentir uni à des millions d’autres musulmans, en l’honneur d’Allah, sous la dure immensité du ciel mecquois. La nationalité, la richesse, la langue, la persuasion politique, toutes ces choses sont censées fondre. La vexation d’être dans une foule surchauffée et trépidante de personnes, allant et revenant à la hâte de chaque rituel, est inévitable. Mais de nombreux pèlerins disent que surmonter ces obstacles fait partie du défi spirituel pendant le Haj. Accepter les différences de l’autre sexe au sein de l’islam dans les gestes et la prière fait partie de l’expérience.

Les Saoudiens et les Iraniens diraient AMEN eux-mêmes à tout cela. Pourtant, leur intense rivalité a, encore une fois, contredit l’idéal de l’unité religieuse. La dernière brouille amère entre les deux pays peut être illustrée par une série d’incidents.

Tout d’abord, une grande grue prise dans la tempête s’est effondrée sur le plafond de la Grande Mosquée de La Mecque, tuant plus de 100 personnes. Ensuite, un chaos désespéré de corps dans Mina, au dehors de La Mecque, alors que deux grandes vagues de pèlerins sont entrées en collision, l’une se dirigeant vers le rituel de la lapidation du « diable » et l’autre en revenant. Certaines estimations disent que 2300 personnes sont mortes, dont plus de 400 étaient des Iraniens.

Ce sont les deux terribles catastrophes qui ont marqué le Haj l’an dernier. L’Iran a blâmé l’incompétence saoudienne ; certains responsables saoudiens ont blâmé les pèlerins. Le lendemain, les drapeaux noirs ont été brandis à Téhéran par des manifestants furieux. Cet incident n’était rien comparé à ce qui est arrivé quelques mois plus tard. L’ambassade saoudienne dans la capitale iranienne a été incendiée par une foule se déchaînant après que les Saoudiens aient mis à exécution leur menace tenue depuis longtemps d’exécuter Cheikh Nimr, le leader le plus important de leur minorité chiite. Les Saoudiens coupèrent alors leurs liens diplomatiques avec l’Iran.

Ce fut alors que les deux pays s’affrontèrent sur les deux champs de bataille les plus chauds au Moyen-Orient : la Syrie et le Yémen. Des funérailles militaires étaient faites pour les officiers iraniens salués comme des héros pour avoir combattu et morts en Syrie dans la défense du président Assad, pendant que le ciel au-dessus de la capitale yéménite, Sanaa, était déchiré jour après jour par la cacophonie et la férocité des avions de chasse et les bombardements saoudiens.

Ce fut les pires crises entre ces deux puissances régionales dominantes depuis les années quatre-vingt. Et une fois encore, le fossé a commencé à se creuser en préparation pour le Haj. L’Iran a exigé une garantie écrite des Saoudiens pour leurs pèlerins après l’horreur de l’année dernière. Les négociations n’avançaient pas. Ainsi, le Haj est allé de l’avant, mais sans les Iraniens qui ont été bannis alors qu’ils avaient été quelque 60 000 à le faire en 2015. C’était la première fois qu’ils étaient absents depuis près de 80 ans.

« Cruels », « Incrédules » « Blasphémateurs », « Meurtriers » et « Sataniques » furent quelques-unes des épithètes que le chef suprême iranien, l’Ayatollah Khomeiny dirigea envers la famille royale saoudienne, dans une rhétorique féroce que Téhéran réserve habituellement à ses ennemis. Plus important encore, l’ayatollah a appelé le monde islamique à revoir la façon dont La Mecque et le Haj sont gérés, signifiant que ces derniers doivent être pris hors du contrôle saoudien. Cela n’arriverait, mais ça touche et frappe encore au plus profond la fierté et le privilège du roi saoudien d’être le gardien des deux mosquées saintes.

La plus haute autorité spirituelle en Arabie Saoudite a choisi de sanctionner plus lourdement dans un discours enflammé qualifiant les Iraniens de « non — musulmans ». Le grand mufti Cheikh Abdel Aziz Al Cheikh, a déclaré :

« On ne doit pas s’étonner des remarques de l’ayatollah ; après tout, les Iraniens ne sont pas vraiment des musulmans ».1

Tel est le schisme entre les musulmans sunnites et chiites que le Haj est censé transcender !

Ainsi, au lieu de La Mecque, au cours du Haj, de nombreux Iraniens ont choisi de voyager, cette année, pour faire leur pèlerinage à Karbala, en Irak, l’un des sites les plus sacrés de l’islam chiite. L’Iran a nié les rumeurs selon lesquelles l’ayatollah Khomeiny avait émis une fatwa encourageant cela comme un remplacement pour le Haj. Pendant ce temps, les Saoudiens ont lancé une chaîne de télévision diffusant en farsi, s’il vous plait (langue des Iraniens) et en direct, les rituels du Haj pour montrer aux Iraniens ce qu’ils rataient !

Les Saoudiens peuvent penser qu’ils s’en sont sortis la tête haute, avec la pléthore des nouvelles mesures de sécurité mises en place — le Haj de cette année est passé sans incident majeur. Les Saoudiens verront cela comme l’unique réponse dont ils ont besoin à la remise en question de leur compétence par l’Iran. Mais l’Iran peut déclarer aussi que l’on a tenu compte de ses critiques.

Les gens ordinaires, comme toujours, auront à supporter les conséquences de l’hostilité entre les deux pays élites, avec quelques Iraniens âgés craignant qu’ils ne puissent jamais avoir l’occasion de pratiquer le cinquième pilier de l’Islam et garder l’expérience fugitive de l’unité qu’incarne le Haj.

 





  1. Voir par exemple: www.ouest-france.fr